Phundrak’s short stories

Short stories written by Phundrak

Le bruit du moteur du tank allemand résonnait dans le sol, masquant presque entièrement le pas régulier de l’infanterie qui progressait sur le chemin exigu au beau milieu de la forêt de pins. Ils avaient débarqué la veille dans un fjord non loin de là, mais n’avaient pas encore pu lancer d’excursions sur nos terres, des frères d’armes les ont assaillis quasiment aussitôt qu’ils avaient posé le pied sur la plage, les ralentissant lourdement. Hélas, c’est tout ce qu’ils ont pu faire : les ralentir. Ils avaient profité de la nuit pour débarquer plus de matériel et de soldats, et ils allaient maintenant tenter de s’emparer de plus de terrain encore.
« Putain de Suðmaðr, aucune déclaration de guerre, ils nous attaquent juste comme ça ! grognait Alvar, allongé à côté de moi. —Silence ! le sermonna Hrólfr. On sait ! Contente-toi de garder la tête baissée, qu’ils ne te voient pas. »
Il avait raison. Nous n’avions aucun intérêt à être découverts. Notre différence d’armement était beaucoup trop grande. Seuls les militaires éittlandais avaient droit à des armes à feu. Nous… on savait se servir de nos armes traditionnelles. La moitié d’entre nous était dotée d’un arc, sinon nous avions tous des armes de corps à corps, principalement des haches, deux ou trois épées. Rien qui ne faisait réellement le poids comparé aux Karabiners allemandes. Toute notre stratégie reposait sur l’effet de surprise. Si nous pouvions nous débarrasser entièrement du peloton qui arrivait, non seulement nous pourrions récupérer leurs munitions, leurs fusils, leurs pistolets, mais en plus potentiellement un tank qui pourrait être un clair avantage pour nous. Pas question d’attendre patiemment les Anglais sans rien faire, nous allons les repousser autant que possible. Les rejeter à la mer n’en sera que plus simple une fois que l’armée britannique sera là pour nous soutenir.
La compagnie arrivait à hauteur du talus derrière lequel se cachait, la végétation effaçant encore plus notre présence tout en nous permettant de les observer. Plus un bruit ne venait de notre bande. On attendait le signal du chef. On devait être rapide, efficaces, terrifiants. Nous autres archers, on tire sur autant de soldats que possible. Immédiatement après, les autres lancent l’assaut. Et deux frères tenteront avec Hrólfr et moi de percer le tank ; moi en tirant dans le tank par la visière avec mon arc, eux en tentant de passer par au-dessus.
Hrólfr fit signe. « Óðinn est avec nous ! » On se dressa et je repérai immédiatement, au sommet du tank, le commandant. En un éclair, je tirai et le tuai, alors que nombre de soldats allemands tombèrent au même moment sous les flèches éittlandaises. Mes autres frères surgirent alors de leur cachette, hurlant les noms d’Æsirs alors qu’ils faisaient couler le sang de l’envahisseur sur le sol. Hrólfr se saisit de l’arme de poing d’un Allemand et entama une escalade du char d’assaut, tandis que je me concentrais depuis mon poste et décochai une flèche qui passa dans la visière de la machine de guerre qui s’arrêta net. De nombreux coups de feu retentirent dans la mêlée, y compris ceux de Hrólfr en direction de l’intérieur du tank, tandis que deux frères se tenaient derrière lui, eux aussi avec des armes allemandes en main, prêts à le relayer s’il venait à être blessé ou tué.
Enfin, Alvar assena un ultime coup de hache, égorgeant le dernier soldat du Reich, et hurla le nom du Protecteur en signe de victoire : « THÓRR ». Je regardai le carnage : nous avions peut-être perdu environ treize hommes. Mais le Reich, lui, en avait perdu une quarantaine, avait perdu leurs armes, et avait perdu un tank.
« Eittland est sous la protection de Thórr et de son peuple, il nous a bénis, et nous vaincrons ! »


Texte initialement publié sur supran.fr pour le #DéfiDuLundi 6 avec le thème archer.

« Un monstre, voilà ce qu’il est ! rugit la voix d'Ishum. Notre cité ne pourra connaître le repos tant que cet assassin vivra, et respirera ! » Le public se mit à l’acclamer, lui criant des encouragements, et maudissant le nom de Sin-saïd qui était sur le sol du tribunal, à genoux, les mains liées derrière le dos. Son visage était renfermé, ne laissant rien paraître. On le voyait, sale, décoiffé, sa barbe était devenue hirsute sous sa tête penchée en avant. Les entailles des coups de fouet qu’il avait reçu en prison le faisaient souffrir, mais pas autant que sa jambe que le bourreau lui avait cassée, rendant sa position agenouillée insoutenable. Mais il ne pouvait rien faire pour se défendre, mis à part attendre, ou plutôt espérer, qu’on lui donne enfin la parole. Un pas de travers, et sa nuque pourrait très bien être désolidarisée de son corps.
Ishum se tourna alors vers le souverain qui présidait du haut de son trône de pierre la salle. Le prêtre était rouge de colère alors qu’il criait son mécontentement. « Oh Gulkishar, roi de Babylone, je vous en conjure, mettez fin aux jours de cet homme ! Ses horribles crimes ne seraient laissés impunis ! C’est par de sa faute que tant de gens périrent dans d’atroces souffrances ce mois-ci, c’est par de sa faute que des hommes bien portants, et même des femmes, et des enfants, se meurent de faim, se meurent de soif. Ce scélérat nous a maudit, tous ! et par de sa faute, nous nous mourrons ! Il a offensé nos dieux, et de par son sang, nous les apaiserons ! » Le souverain se leva lentement de son trône, et jaugea Ishum. Son regard se posa ensuite sur Sin-saïd, qui n’avait toujours pas bougé. Il s’exprima enfin, s’adressant à ce dernier : « Quelle est ta déclaration, Sin-saïd, fils de Bel-samu, disciple de Baassiia. Ton maître t’a-t-il enseigné un quelconque art de faire souffrir autrui ? Estimes-tu avoir offensé les dieux ? Nous as-tu jetés un mauvais sort ? – Seigneur, Sire, Votre Majesté, Votre Grâce, dit péniblement Sin-saïd. Je peux vous assurer sans l’ombre d’un doute, tout ce que m’a enseigné mon maître Baassiia, ce ne sont que des prières, concoctions et usages des herbes, grains, et liquides qui ne font que venir en aide aux gens. Jamais n’ai-je voulu lancer de malédiction sur notre peuple, et jamais n’ai-je voulu offenser les dieux. Je le jure au nom d’An. Je souffre tout autant que vous de ce désastre, et ne souhaite voir que la fin de ce désastre. — Il ment ! s’exclama Ishum. Cette situation ne lui est que profitable ! Jamais n’avait-il eu autant de clients qu’avant maintenant, jamais n’avait-il autant vendu de ses potions ! Ne croyez aucune de ses paroles, car elles sont pleines de venin ! »
Le roi se rassit, perplexe quant à la situation. Il ne savait que faire. Sin-saïd avait une excellente réputation auprès des infortunés qui chantaient volontiers ses louanges. Mais ici, dans cette salle du tribunal, seuls étaient présents des personnes du peuple autrement plus riches : des marchands, des notables, des diplomates… Et tous avaient perdu quelqu’un récemment. Il ne pouvait pas se permettre de commettre de faux pas, et se sentait pris en tenailles. Que valait-il mieux faire : risquer une révolte paysanne, ou risquer de se faire au mieux démettre par les puissants, ou au pire…
« Sire, s’exclama Ishum, puisque ce monstre nous a disgracié aux yeux des dieux, ils ne le protègeront donc pas. Ils sont en colère contre lui, ainsi, il ne bénéficiera d’aucune aide de leur part. J’invoque ainsi le jugement par le feu ! Qu’on apporte une lame, rougie par les braises, et qu’on la lui applique sur la langue ! La bouche des menteurs est sèche comme un désert, tandis que celle des honnêtes gens produit de la salive en bonne quantité. Si sa langue est brûlée, alors elle aura été trop sèche, marquant son mensonge, et prouvant qu’il est responsable de tout cela. Si elle ne l’est pas, en revanche, nous serons forcés d’admettre que nous avions tort, et il pourra être relâché. Mais nous savons tous quelle sera l’issue de ce jugement, n’est-ce pas, monstre ! » hurla-t-il en se tournant vers Sin-saïd.
Le souverain se leva à nouveau de son trône et fit un signe à un garde. Alors que celui-ci s’emparait d’un brasero qui réchauffait la pièce, le roi déclara : « Moi, Gulkishar, souverain absolu de Babylone, approuve cela. Si les dieux sont en effet en colère contre nous par sa faute, alors ils ne le protègeront pas. S’ils considèrent en revanche qu’il est innocent, alors ils le guideront vers sa liberté. » Le garde arriva à côté de Sin-saïd, déposa le brasero et inséra dans les braises sa dague. « Sin-saïd, fils de Bel-samu, disciple de Baassiia, souhaites-tu dire quelque chose avant ton jugement par les dieux ? demanda le roi. — Gulkishar, mon roi, je me remets entièrement en votre décision. Puissent les dieux me bénir et prouver mon innocence. Je souhaiterais, le temps de la préparation de la lame, prier en silence. — Très bien, ton souhait est accordé. »
Alors que l’homme rabaissa la tête et commença à marmonner des supplications envers diverses divinités, plusieurs gardes arrivaient au niveau du brasero, attisant autant que faire se peut les braises, réchauffant progressivement la lame. Au bout de quelques minutes, elle commença à apparaître comme étant rougeoyante. « Il est l’heure, Sin-saïd, les dieux ont eu le temps de se décider, à nous de voir si tu nous as menti. »


Texte initialement publié sur supran.fr pour le #DéfiDuLundi 3, suivant le thème de jugement.

Ce n'est qu'en poussant le voile de la maison commune que cela devint évident pour moi. Bien que je n'étais qu'à peine arrivée de Mojhal après trois jours de marche effrénée, la vue du Wésyqun et de toute ma famille réunie autour de notre matriarche allongée sur son lit de feuilles de palmier séchées me fit un choc. Je m'y attendais depuis longtemps, et me demandais bien pendant toutes ces années comment elle avait même réussi à rester si fière et vivace durant autant de temps, mais l’âge l’avait rattrapée elle aussi. Meém me reconnut immédiatement.

« Oh, Nuye, entre donc, je t'attendais ! Viens donc auprès de moi. »

Alors que je m’avançais, l’homme saint referma le voile derrière moi et ouvrit une petite fenêtre dans le plafond.

« Meém, je suis soulagée de voir que je ne suis pas arrivée trop tard. Comment vous sentez-vous ? — Nuye, ma petite, moi aussi, je suis heureuse de te voir. Et bien sûr que tu es arrivée à temps, tu as l'héritage des Ñywésyqun en toi, la bénédiction des dieux. Tu es arrivée à temps, car ils t’ont dit quand partir, qu’il fallait que tu arrives maintenant. Tu es arrivée à temps pour me guider. Vois, dit-elle en se tournant vers la lucarne, Nurya sera visible depuis mon lit ce soir. Tu pourras m’accompagner avec Ñóib vers nos dieux. C’est le petit-fils d’une cousine à moi, mais je doute que vous ne vous soyez rencontrés. Il n’est arrivé, il n’y a qu’une dizaine de jours, c’est la première fois qu’il vient ici, et je crois que tu étais déjà repartie pour la ville à ce moment-là. — Meém, je vous en ai déjà parlé, je ne sais pas communiquer avec les dieux. J’ai peut-être votre sang qui coule dans mes veines, mais je ne suis pas une Wésyqun pour autant. — Même si cela était vrai, mon enfant, fais-moi plaisir, essaie. Et si rien ne se passe, tant pis, tu auras au moins aidé ta pauvre grand-mère à quitter ce corps, son Wésy en paix. »

Cette conversation me mettait mal à l’aise. En plus du stress du voyage, des regards tristes, chuchotements et pleurs dans la maison, et de mon chagrin à la voir ainsi, ses paroles à propos son départ ne faisaient que resserrer encore mon cœur qui me pesait déjà tant. Je ne pus empêcher un sanglot de s’échapper.

« Meém, vous êtes forte, la femme la plus forte que je connaisse ! Vous me paraissez encore en bonne santé, comment pouvez-vous dire que vous nous quitterez ce soir ? — Nurya m’est venue en rêve, et m’a révélé que c’est en effet ce soir que je vous quitte. Et ne t’ai-je pas déjà dit, elle vient me chercher. Allons, enlève donc ton châle de ta tête, va rejoindre notre Wésyqun et prie pour ta pauvre grand-mère, ma petite. »

Je me levai donc, le regard brouillé par les larmes et allai me rassoir en tailleur, derrière son lit, alors que je laissais mon zocséwe glisser le long de mes épaules. Le Wésyqun vint s’asseoir à côté de moi.

« Je vous dirais bien que c’est un plaisir de vous rencontrer, me dit-il, mais je crains que le moment ne soit hélas pas aux réjouissances. Votre grand-mère m’a cependant beaucoup parlé de vous. Je suppose que je n’ai pas besoin de vous rappeler le déroulement de la cérémonie ? — Non, merci. Je m’en souviens encore. Mais je vous assure que hélas je ne vous serai pas d’une grande aide. — Laissez-vous simplement porter. Si rien ne se passe, tant pis, vous serez au moins fixés sur votre statut. Si vous ne pouvez pas éveiller vos pouvoirs qui vous ont été donnés par les dieux maintenant, c’est que véritablement, il n’y a rien à faire. » Son ton m’agaçait. Je sais que je n’ai aucun talent particulier, mais me le rappeler sur un air aussi hautain… Je restais assise, les larmes roulant sur mes joues, sanglotant doucement.


La nuit tomba, et on alluma un feu au centre de la maison commune, aux pieds de Meém. Nurya allait apparaître dans la lucarne que Ñóib avait ouvert plus tôt. Ce dernier fit un geste, toutes les personnes encore debout s'assirent, la cérémonie commença. Sans grande conviction, je me mis à visualiser, yeux fermés, la salle, Meém, son lit, moi, le Wésyqun, l’assemblée. L’image me semblait claire, et j’attendais que le chaman commence à réciter les prières. Rien. Pas un bruit. Tout le monde restait immobile, silencieux. Seul le crépitement du feu remplissait la salle d’un quelconque bruit. L’attente me paraissait interminable ; combien de temps allait-il nous laisser patienter ainsi ? Il me paraissait le voir, dans mon image mentale, me faire signe de commencer. Autant y aller maintenant, me-disais-je, sinon à ce rythme-là, Meém risque de nous quitter avant même que l’on ait pu l’honorer. Je pris une inspiration et entamai la récitation des paroles sacrées. J’imaginais la déesse Nurya, jeune et belle, la peau argentée, habillée de soieries de couleurs vives et d’ornements précieux, les cheveux à moitié en chignon, l’autre libre, tombant sur ses cheveux. Elle apparut à la lucarne, puis descendit doucement dans la pièce. Elle se posa assise en tailleur au-dessus du front de Meém, tandis que des émanations de la déesse apparaissaient au sommet de la tête de chacun des membres de l’assemblée. Une lumière argentée se mit à rayonner depuis le cœur de la déesse, inondant la pièce d’une douceur sans pareille, d’un sentiment de réconfort. Puis, elle fondit en chacun d’entre nous, puis la lumière de chacun d’entre nous fondit en Meém. Je déclarai alors : « Péigé, Matriarche des Weqi, je vous invite à accepter la lumière de Nurya, déesse de la lune mineure, votre protectrice et guide spirituel. Elle nous a rejoints, et vous pouvez maintenant la suivre pour la rejoindre, la rendant plus brillante encore afin qu’elle illumine notre monde, grâce à vous et à tous nos ancêtres. Vous pouvez laisser derrière vous votre corps, qui a fait son temps, afin de laisser votre esprit prospérer dans le domaine des dieux. — Ce n’est pas seulement Nurya qui est présente, souffla péniblement Meém. Les deux déesses lunaires sont ici. Et elles me guident toutes deux. » L'entendre ainsi me déstabilisa. Habituellement, seuls les Ñywésyqun ne pouvaient parler durant la cérémonie. Mais, sans laisser de temps à mes pensées, ma visualisation continua. Le corps de Meém devint de lumière et fondit en son cœur, en un point lumineux, d’un bleu profond. Je récupérai alors cette sainte graine, et la tendis vers Nurya qui la prit délicatement entre ses mains. Cette dernière leva alors les yeux au ciel, et je fis de même. Les deux lunes étaient l’une à côté de l’autre. Le cadre de la lucarne s’élargit, laissant place à un ciel éclairé de mille feux par les résidences divines, et plus encore par les deux astres de la nuit. Ces derniers se rapprochaient tandis que Nurya et moi-même continuions à les fixer paisiblement, emportant avec nous le Wésy de Meém.

J’ouvrai les yeux, constatant que je m’étais encore laissé emporter dans mon imagination. Mon corps, cependant, semblait être resté fidèle à l’événement, alors que je continuais à chanter les prières marquant la fin du rituel. À la dernière note, tout resta pendant quelque temps en suspens. Pas un bruit ne se faisait entendre, alors que le feu commençait à s’éteindre. Je lançai un regard vers Meém : elle était désormais entièrement immobile, sa poitrine avait cessé de monter et descendre. Ainsi, elle nous a bien quittés, songeai-je. Je me tournai alors vers le Wésyqun, qui avait un air ahuri sur son visage.

« Pas de doute Nuya, vous êtes bien une descendante de feu votre grand-mère. Mes excuses pour mon comportement de tout à l'heure. — Je sais ce que vous allez dire. Vous allez prétendre que je suis bel et bien une Wésyqun. Je sais que je n’ai rien de spécial. Arrêtez de vouloir à tout prix me faire prendre la relève de ma grand-mère, je ne servirais à rien. »

Je sortis, énervée par la réflexion du Wésyqun, presque prête à repartir sur-le-champ. J’allais trouver l’Arbre Ancien du village, et m’assis à son pied. Les deux lunes étaient l’une à côté de l’autre. La vision de la petite sœur Nurya et sa grande sœur Nuya m’apaisèrent, et je m’endormis sur place.




Texte publié sur supran.fr pour le #DéfiDuLundi 1, suivant les thèmes chaman et mort.