Dérive

On ne pouvait plus distinguer le jour de la nuit, du ciel et de la mer. Les nuages, d’un noir de charbon, se confondaient avec les eaux glaciales entourant le navire. Cela faisait huit jours que les vents hurlaient, faisant grincer le bois, faisant craquer les planches, faisant hurler les sabords, assourdissant l’esprit engourdi de l’équipage. Ils étaient devenus automates, se mouvant avec des gestes répétés, identiques, tous travaillant à évacuer l’eau envahissant sans répit le vaisseau dont le froid les pénétraient jusqu’aux os. Ils n’avaient quasiment que ça à faire, la voile était baissée depuis le début de cette nuit sans fin, sans lune ni étoiles. Mais les vagues d’eau noire et glaciale ne manquaient pas. Les quelques chanceux qui pouvaient se reposaient tentaient tant bien que mal de sombrer dans un sommeil paisible, mais tout ce dont ils rêvaient était l’obscurité des abysses qui les menaçaient un peu plus chaque jour.
Dans sa cabine, le capitaine se penchait sur sa carte, comme un arbre penchant sous le hurlement d’une tempête. De ses yeux lents et sombres, il observait les traits noirs sur le papier jaunis par le temps. Ils se fatiguaient à lire des lettres, des noms de mers, de côtes, de courants se fondant avec le papier, difficilement discernables dans la pénombre que peinait à offrir la lanterne qu’il avait fait ouvrir. Il ne pouvait qu’essayer de deviner. Il était épuisé. Son corps voulait s’effondrer, son âme se sentait happée par les ténèbres.
La lanterne s’éteint, la nuit continuait, le lugubre navire dérivait.




Texte initialement publié sur supran.fr pour le #DéfiDuLundi 35 suivant le thème carte.